samedi 2 décembre 2017

Gilbert Pinna dans La Cause Littéraire



« Débarquement dans les ports. Marseille, juillet 1962. Il faut voir tous ces gens éperdus, dans la gare Saint-Charles. Moi, minuscule, dans un couffin, avec mon frère, en départ de vacances. Bien plus tard, on me le raconte : il y a des vieux, des vieilles, des enfants, hagards, une valise à la main, qui attendent, debout, assis, couchés… Et puis, dehors juste à trois cents mètres, la grande lumière blanche qui réverbère celle de la baie d’Alger. Entre les deux côtes, les plages et un gros bras de mer ».
 
Peut-être des falaises est une aventure graphique, l’esquisse d’un roman, nourrie de l’enfance de l’auteur, de son humeur irisée, de ses admirations, Hopper, Camus et l’insondable secret de l’Algérie de Meursault, Kafka, magicien impérial de sa ménagerie, Hugo Pratt, ou encore Marguerite Duras sur son balcon des Roches Noires, et Freud à Vienne. Gilbert Pinna n’illustre pas ses éclats romanesques, ses remarques, ses souvenirs, il les prolonge, en donne un écho gracieux et troublant. Le trait est fin, tout en rondeur, les couleurs sont embrasées par des pastels soyeux.
 
 
 
Ses personnages dessinés parlent, ils ont parfois les traits tirés, la paupière en amende, ils sourient, ou se campent dans le doute, ils s’étirent ou s’assoupissent, on pense à Daumier, à Gorce, à Loustal pour le trait, à Hugo Pratt, pour le chatoiement et l’aventure qui surgit au coin de la page, mais Gilbert Pinna est unique, il saisit cet instant, cette suspension, un regard perdu, un soupir, d’un trait. Il se souvient aussi des dessins et des gravures de Bruno Schulz – assassiné par les nazis en 1942 –, qui prolongeaient ceux de Goya, la terreur est là, et les monstres rodent, point de terreur dans Peut-être des falaises, mais une légèreté que parfois traverse un trait de doute, une tristesse lointaine.
 
« Il lui suffit de fermer les yeux pour les faire arriver d’Abyssinie, d’Acarnanie, d’Abkhazie, d’Albanie, d’Amazonie, tous enfants d’Hugo Pratt ».
 
 
 
« Plus tard, il les verra dans Prague, sortis des brumes, ces grands chevaux lumineux qui tirent des calèches ou des charrettes, il les verra aussi, efflanqués, à bout de souffle, effondrés sur les pavés, qui bloquent la circulation ».
 
Peut-être des falaises est un beau livre, qui ruisselle sous la lumière d’automne, riche de verts légers, d’éclats rouges et jaunes, d’aplats de gris, le crayon s’offre au pastel, une page dessinée, en miroir d’une page imprimée. Un livre qui s’ouvre sur le large, en équilibre sur une falaise, ou dans le regard d’écrivains d’aventures, qu’elle s’écrive au coin d’une rue, dans une chambre, au bord d’un canal, face à l’océan ou sur une planche à dessins.
 
 
Philippe Chauché
 

http://www.lacauselitteraire.fr/peut-etre-des-falaises-gilbert-pinna

http://gilbertpinnalebloggraphique.over-blog.com/

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