samedi 22 octobre 2016

Guillaume Basquin et Jean-Jacques Schuhl dans La Cause Littéraire


« C’est un styliste. Haute couture ! Vous qui aimez le prêt-à-porter, laissez tomber. Schuhl accélère jouant sans cesse avec les réminiscences du lecteur. A quelle vitesse lisez-vous ? A quelle vitesse écrivez-vous en lisant ? A quelle vitesse comprenez-vous ce que vous venez de lire ? »
 
Partons d’un principe, on écrit une biographie pour poursuivre son propre travail d’écrivain, son aventure romanesque, pour écrire un nouveau roman sous l’éclairage d’un écrivain complice, ou pour le moins rêvé ainsi. Les exemples ne manquent pas : La vie de Racine de François Mauriac, Francis Ponge de Philippe Sollers, Lautréamont de Marcelin Pleynet, Cours, Hölderlin ! de Jacques Teboul, Dante écrivain de Jacqueline Risset et quelques autres. Reste que pour savoir écrire une biographie, il convient de savoir lire et de savoir écrire (1), de se glisser avec légèreté dans une œuvre – sans oublier de s’y confronter, parfois même de croiser de fer –, savoir lire, pour bien savoir écrire, l’inverse est aussi nécessaire. Guillaume Basquin qui est un styliste s’est déjà attaché à l’œuvre de Jacques Henric, un autre styliste, il y a des parentés qui naissent dans les livres, qui naissent des livres, des communautés de goûts et de manières, des amitiés sélectives.
« Plus on relit Schuhl, plus on se rend compte que ses récits sont bourrés de machines optiques. Ce sont des machines à voir. Pour mieux voir. C’est son beau souci. Il part de « l’idée que nous agissons constamment  sur tout un fond d’images – que nous ayons vues ou non ». Tout le monde est sourd et aveugle ; Schuhl, lui voit. Il a éteint la télévision il y a longtemps… »
 
Partons d’un principe, toute biographie est une affaire d’oreille et d’œil, bien entendre ce qui s’écrit, et bien voir ce qui se lit, reflets de l’œil de l’écrivain dans celui de son biographe, dans un œil d’or. Comme se reflète l’image d’Ingrid Caven, son roman éponyme, dans son œil de romancier. L’œil entend aussi et souvent avec une grande finesse, cette rumeur, ces fracas, cette chanson allemande que l’on fredonne en souvenir d’un temps heureux et partagé. Le temps du cinématographe par exemple, de cinéastes qu’il a connus, et qui hantent ses livres, fantômes puissants et troublants – Fassbinder, Eustache, Daniel Schmid –, un temps où le temps était donné au Temps, sans le chercher, il s’imposait. Peut-être que la caméra et sa pellicule – le plan séquence avait sa durée objective, le temps que se vide le magasin – y étaient pour quelque chose. Guillaume Basquin a noté les enjeux de la révolution du numérique, l’abandon de la pellicule et la destruction annoncée de l’argentique – le numérique, c’est la réforme du cinéma. Plus de bougé. Exit les tremblements ! … Exit le monde de la nuit et des rêves ! Le jour permanent ! La téléréalité tout le temps ! » Le cinématographe attend donc sa contre-réforme !
 
 
 
 
« Ingrid Caven est la quintessence du style schuhlien : c’est l’éveil fraternel de toutes les énergies chorales et leurs applications instantanées. Un art de la brisure. Notes dégringolées en bas de page. C’est un opéra fabuleux. Tout n’est que voix et musique ».
 
Les voix, la musique deux pôles d’attraits pour le biographe écrivain, pour l’écrivain lecteur, face à ce roman – Ingrid Caven –, dont le succès a surpris tout le monde jusqu’à son éditeur (Sollers), qui en a pourtant vu d’autres. Les voix et le style, sauts et pirouettes, citations et éclats ! Exclamations et suspensions, pour que l’écho de la phrase se prolonge, comme dans le jazz ou la musique baroque, où chaque note est nécessaire et bienvenue, ou chaque phrase est pesée et éclairante. Ajoutons cet art de la distance que pratique avec discrétion l’écrivain, à Paris, à New-York au bras de sa bien-aimée, au cœur de la société artiste, comme Proust se plongeait dans centre tellurique mondain, il voit et écrit, et se tient à la bonne distance – celle du chasseur de lion –, et cela donne des romans d’aujourd’hui, un rien désenchantés. Pour bien écrire il faut avoir l’oreille musicale, savoir écouter et s’écouter chanter, même en silence. Guillaume Basquin est doté de cette oreille musicale, son style chante et vibre, comme vibre celui de Jean-Jacques Schuhl. Parfois des auteurs se rencontrent et une douce musique s’élève de leurs livres (2).
 
Philippe Chauché

(1) « Pour savoir écrire il faut avoir lu, et pour savoir lire il faut savoir vivre », l’auteur site cette phrase de Guy Debord, le co-fondateur de l’Internationale Situationniste s’emploiera à ne cesser de la vérifier.
(2) Des êtres se rencontrent et une douce musique s’élève de leurs cœurs, Jens August Schade, traduction Christian Petersen-Merillac, Editions Gérard Lebovici
 







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